Mathieu Lindon dispose d’un incontestable talent pour appâter le lecteur. L’intrigue de départ de ‘Mon coeur tout seul ne suffit pas’ - titre déjà séduisant de poésie - ne manque en effet ni de charme ni de mystère. Le narrateur, qui n’est autre que Mathieu Lindon lui-même, reçoit une lettre post-mortem d’un meilleur ami dont il n’a aucun souvenir. L’étrangeté d’une telle entrée en matière est agréablement nourrie par le style de l’auteur, subtil et coloré, parfois tortueux, toujours parfaitement adapté au récit. Une étrangeté pas démentie non plus par l’enquête “délirante” (au sens propre et figuré puisque la fièvre malmène Mathieu) de l’auteur au sein de la famille éternellement reconnaissante de l’ami inconnu.
Atmosphère lourde, rebondissements incongrus, personnages surréalistes comme ces enfants de 7 ans qui parlent et se comportent en adultes : toutes les pièces semblent réunies pour enchanter cet inquiétant pays des merveilles. Tout du moins au fil des premières pages… Malheureusement, la jolie montagne a tôt fait d’accoucher d’une souris, certes attendrissante mais décevante. Au lieu de s’emballer, le scénario ronronne et tourne peu à peu à vide pour déboucher sur un dénouement frustrant. Reste tout de même la maestria de Lindon qui joue de ses thèmes fétiches. L’auteur condamné du ‘Procès de Jean-Marie Le Pen’ montre ici du doigt l’absurdité d’un racisme gratuit. Surtout, le chroniqueur de Libération réjouit en “critique langagier”, procédant avec les abus de vocabulaire comme avec des indices pour démêler son enquête. Plaisant mais, à dire vrai, cela ne suffit pas.