je vient ,de le recevoir.....
La vie... Un cadeau si précieux, si fragile.
La vérité est là, féroce, inéluctable. Hannah, trois ans, a un cancer, elle va mourir. Avec une sobriété poignante, sa mère raconte leur vie au quotidien, les peurs, les chagrins, la souffrance, mais aussi les joies, car il y en a. Comme si Hannah voulait rendre ces derniers mois inoubliables...
PROLOGUE
Les chaussures rouges
Quand je contemple ma vie, je réalise qu'elle pivote silencieusement autour d'un moment précis : je suis debout dans un magasin de chaussures pour enfants et je me demande quelle paire je vais acheter. Des chaussures en cuir noir ou bleu iraient bien avec la garde-robe d'Hannah pour aller à l'école maternelle. Je prends une chaussure de chaque couleur et je demande à Hannah : "Laquelle préfères-tu ?"
Hannah a déjà décidé. Elle brandit une paire de chaussures à bride vernies rouges et déclare : "Voilà mes chaussures !"
Je souris patiemment.
"Hannah, je peux seulement acheter une paire de chaussures, aujourd'hui. Celles-là sont mignonnes, mais elles ne sont pas pratiques. Il faut choisir quelque chose qui va avec les robes qui sont dans ton placard.
- Mais maman, les chaussures rouges vont avec tout. Et en plus elles me vont parfaitement", dit-elle en glissant son pied dans la paire exposée, trois fois trop grande pour elle. La vendeuse a surpris notre conversation. Elle éclate de rire.
"Qu'est-ce qu'en pense maman ? demande-t-elle. Voulez-vous que j'aille voir si j'en ai une paire plus petite dans la réserve ?"
J'hésite. C'est important pour moi de ne pas gaspiller l'argent et d'habiller mes enfants comme il faut. Pourtant, au moment de dire "non", quelque chose sur le visage d'Hannah me retient. Elle a l'air tellement joyeuse à cette idée !
"Oui, pourquoi ne pas aller voir ?"
Hannah lâche un cri strident et fait des bonds. Quand la vendeuse revient, elle glisse ses pieds dans les chaussures. Cette fois-ci, elles lui vont parfaitement.
"Comme pour Cendrillon !" chuchote Hannah. Elle se dirige d'abord vers le miroir, reste clouée sur place, contemple ses chaussures, puis se tourne vers moi. "Je ferais bien de les essayer", dit-elle en tapant la pointe de son soulier contre la moquette. Insatisfaite, elle s'avance vers l'entrée du magasin. La vendeuse et moi, nous la suivons. À peine sortie dans le hall du centre commercial, le bruit de ses chaussures sur le parquet l'arrête net dans sa course. Elle fait claquer ses talons l'un après l'autre et me regarde avec un large sourire : ai-je entendu ? Je souris et je lui fais un petit signe encourageant de la tête.
Hannah ferme les yeux et, les bras tendus, commence à danser. Plus rien ne compte que ses chaussures ! La voilà qui saute, et tourbillonne de plus en plus vite, claquant les talons sur le sol. Sa joie pure, l'éclat provocant des chaussures rouges captent l'attention.
Les gens qui passent sourient, d'abord à Hannah, puis se sourient les uns les autres. Quelques-uns s'arrêtent pour regarder ; une poignée d'enfants et un vieux monsieur entrent dans la danse. Une femme, les bras chargés de paquets, se tourne vers sa voisine : "J'ai toujours eu envie d'une paire de chaussures rouges.
- Moi aussi, réplique l'autre. Qu'est-ce qu'on attend ?"
Hannah met fin à sa représentation, en s'affalant de manière spectaculaire sur le sol, au milieu des "bravos" et des applaudissements. Puis, elle se relève, défroisse le devant de sa robe, remet en place le nœud dans ses cheveux.
"Maman, elles sont faites pour moi, n'est-ce pas ?"
On ne mesure pas une vie à sa longueur, mais à la plénitude avec laquelle elle a été vécue.
Quand on a découvert que ma fille Hannah avait un cancer, un mois avant la date de ses trois ans, toutes mes croyances ont été remises en question. Face à cette vérité des plus féroces, inéluctable, j'ai commencé à chercher des réponses nouvelles. Hannah, elle-même, est devenue mon maître. Honnête et drôle, elle a vécu sa vie et sa mort à bras-le-corps, sans peur. Elle m'a ainsi ouvert le chemin vers une sagesse plus profonde, une manière de vivre plus joyeuse et moins inquiète.
Après la mort d'Hannah, en 1994, j'ai commencé à écrire pour raconter le voyage que nous avons fait ainsi, ensemble. J'ai essayé, non sans mal, de me souvenir de tout. J'avais tellement peur d'oublier le moindre détail. J'avais l'impression d'être submergée par cette tâche impossible. J'ai fini par y renoncer. J'ai décidé d'attendre, de me laisser le temps de faire mon deuil et de guérir mon chagrin. Peu à peu, je me suis rendu compte que l'histoire continuait. Elle ne s'était pas arrêtée avec la mort d'Hannah. Elle venait seulement de commencer. Maintenant, plusieurs années après, des souvenirs se détachent de mon passé avec un relief particulier, de brefs moments sans doute vécus à des semaines ou des mois d'intervalle, mais des moments qui vivent toujours en moi, parce qu'ils m'apprennent encore.
Ce livre rassemble ces souvenirs. Tel un album de photos, devenu le cadeau que m'a laissé Hannah. Je souhaite que son histoire puisse consoler ceux qui souffrent, nourrir ceux qui cherchent à approfondir leur foi, et inspirer ceux qui aspirent au courage de vivre leur propre vérité.
